Mozilla, GNU/Linux, le Libre (et les femmes ?)
Je reproduis ici l'article de Clochix «À propos de Google Chrome» qui explique clairement les choses pour ceux qui, dans le grand public ou parmi les geeks, se précipitent sur les trucs nouveaux ou à la mode au lieu de réfléchir. Merci à Clochix pour ce bel article.
Chrome est le navigateur privateur de Google et Chromium la version libre qui sert de paravent. Les deux navigateurs vous espionnent. Leur rapidité n'est qu'illusoire. Ces deux navigateurs s'ouvrent plus rapidement que Firefox 3.6 mais ensuite, il n'y a aucun gain de rapidité. Comme Clochix, je préfère de toutes façons la liberté.
La parole est à Clochix :
J'ai gazouillé hier soir «être conscient de la dangerosité grandissante de Google et se ruer sur Chrome c'est comme défendre le libre et utiliser des produits Apple». @pscoffoni et @patcito ont engagé la conversation. Après avoir vainement cherché à répondre à mon tour en 140 signes, je me résouds à le faire ici. Je re-contextualise pour ceux qui n'ont pas eu le temps de suivre l'actualité de la semaine : Google vient enfin de lancer les versions de Chrome pour GNU/Linux et pour Mac, et la transhumance des geeks commence, accompagnée de critiques dithyrambiques pour le produit de Google et de coup de pieds de l'âne à Firefox. J'ai une vue bien trop partielle pour oser prétendre qu'il s'agit d'une tendance, mais j'espère que ça ne le deviendra pas, et je vais essayer d'expliquer pourquoi.
Réglons ça tout de suite, je ne vais pas parler des qualités ou des défauts de Chrome d'un point de vue technique. Ce n'est pas ce qui m'intéresse aujourd'hui. Je ne l'ai pas encore testé. Je vais probablement l'essayer lorsqu'il sera disponible pour ma distribution, comme j'ai testé GMail, Wave et autres, mais quelles que soient ses qualités, je ne l'utiliserai pas et je déconseillerai son utilisation. Fidèle à mon crédo selon lequel la technique doit rester au service de la politique (en tant que science de la gestion des rapports au sein d'une société), la première des qualités d'un logiciel que je considère est la liberté qu'il procure à ses utilisateurs. Les qualités techniques sont certes importantes, mais de mon point de vue doivent s'effacer devant ce principe premier qu'est la liberté. Cette liberté peut être garantie par une licence comme la GPL, mais je suis depuis longtemps convaincu que placer un logiciel sous licence libre est nécessaire mais pas suffisant pour en faire un logiciel libre et libérateur.
Alors oui, Google diffuse bon nombre de ses applications sous des licences libres. Ça peut les rendre sympathiques par rapport aux mastodontes du logiciel privateur que sont Microsoft, Apple, Oracle... Mais Google, à la différence de Microsoft, n'a jamais envisagé de gagner de l'argent en vendant des logiciels. Le cœur de son activité, ce sont les données, les collecter, traiter, organiser, restituer. «Google a pour mission d'organiser les informations à l'échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous», d'après leur propre présentation. Les logiciels ne sont qu'un moyen pour collecter toujours plus de données. Il faut donc que les logiciels soient distribués le plus largement possible. Et de ce point de vue, ils mettent toutes les chances de leur côté : leurs logiciels sont non seulement gratuits[1], mais ils sont aussi libres, voire payés, au sens où dans certains cas Google rémunère les utilisateurs de ses produits en leur reversant une petite commission.
Libérer le code les rend sympathiques aux yeux des geeks qui, on l'a vu avec Firefox, sont prescripteurs. Libérer le code permet de désamorcer les accusations de «big-brother-isme» : vous pouvez utiliser votre propre version de Chrome ou d'Androïd, vous pouvez installer votre propre serveur Wave, donc Google ne cherche pas à contrôler vos données, peuvent-ils prétendre. En fait, cette libération est sans danger pour eux : de toute façon, ils contrôlent les évolutions du logiciel, et savent bien que seule un infime minorité d'utilisateurs utilisera les versions alternatives. Ils peuvent sans problème se passer sur la poignée d'irréductibles qui utiliseront Chromium, ChromiumOS, ou installeront leur propre serveur Wave. Leur trésor ce sont les données et accessoirement l'infrastructure, leur nuage. Ils peuvent bien libérer Wave, ou même Gmail et le reste de leurs applications. Tout autant que leur code, ce qui fait la richesse de ces applications, c'est l'infrastructure technique sur laquelle elles s'appuient, et de ce point de vue peu de gens peuvent rivaliser avec eux.
Donc oui, Google édite des logiciels libres. Mais pour moi ces logiciels ne sont pas libérateurs en ce qu'ils visent avant tout à renforcer la position dominante de Google dans le monde des données.
Apple et Microsoft sont des monstres dangereux, mais leur pouvoir reste limité à quelques niches (ok, de vastes niches). Aujourd'hui Google est en train d'embrasser l'ensemble du champ des technologies de l'information et de la communication [TIC], il va devenir de plus en plus difficile de lui échapper. Il est présent dans le matériel, le logiciel, les réseaux, et il dispose sans doute de la plus formidable base de données jamais conçue. Autant de pouvoir concentré dans les mains d'une seule entité, quelle qu'elle soit, est dangereux.
Google est vraiment partout. Depuis quelque temps, suivre leur actualité est devenu une activité à plein temps, ils font feu de tout bois et investissent l'ensemble du spectre des TIC. A ce rythme, demain on ne parlera plus d'informatique ni d'Internet, mais de Google. Google numérise tous les livres, donc ses cerveaux électroniques accumulent peu à peu le matériel pour comprendre toujours mieux le fonctionnement de l'«âme humaine». Google cartographie la planète en tous sens, bientôt, avec la montée en puissance des objets communiquants et de la vidéo, ses data-centers sauront tout en temps réel, aucun frémissement de la planète ne leur échappera. Google va sortir dans quelques jour leur propre smartphone, et je ne doute pas que des Netbooks ou des tablettes sous ChromeOS suivront. Google est fournisseur d'identité (via OpenID) donc demain c'est lui qui centralisera l'identifiant unique avec lequel on se connectera à tous les services, les siens ou ceux des prestataires qu'il n'aura pas encore racheté. Google vient de lancer ses DNS, Google avec SPDY veut remplacer HTTP (et l'arrivée des Web Socket dans Chrome pourrait bien accélérer les expérimentations de SPDY), Google milite pour l'ouverture des ondes radio pour ne plus dépendre des opérateurs de téléphonie, Google, Google... Je pourrais continuer longtemps à énumérer ainsi tous les domaines qu'il a décidé d'embrasser. Pour tout dire, tous les soir avant de me coucher je regarde sous mon lit pour vérifier qu'il n'y est pas encore. Ce qui ne saurait tarder.
(voix chevrotante) J'ai commencé à utiliser Mozilla (l'ancêtre de Firefox) bien avant sa version 1.0. A l'époque, je suis passé d'Opera, un navigateur stable, puissant, bien fini, à un Mozilla encore bien buggué qui plantait régulièrement. Mais Opera, malgré toutes ses qualités techniques, avaient deux gros défauts rédhibitoires à mes yeux : il n'était pas libre, et la version gratuite que j'utilisais affichait des publicités, potentiellement liées à ma navigation. Je n'avais pas envie qu'Opera collecte des informations sur ce que je faisais, et je suis passé à Mozilla, même si c'était plus compliqué, s'il était moins stable et moins joli. Aujourd'hui, peu m'importe que techniquement Chrome soit plus rapide, plus léger ou plus hype que Firefox. Chrome fait partie de la galaxie Google, et je pense qu'il est plus que temps de freiner ce dernier avant qu'il ne devienne vraiment dangereux.
Dangereux Google ? Potentiellement oui. Être partout n'est pas une fin en soi, ce n'est qu'un moyen pour accumuler toujours plus de données. Et Google enregistre chaque jour davantage d'informations sur chacun de nous, il en sait peut-être même plus sur nous que nous n'en savons nous-mêmes. Qu'est-ce que je faisais à cet instant précis il y a un an ? Je n'en sais rien, mais Google, via l'historique de mes recherches et de mes navigations (grâce à Analytics), mes informations de géo-localisation, mes échanges sur Gmail, Gtalk, etc, etc, etc, Google lui le sait sans doute. Il a la possibilité de savoir à peu près tout ce que j'ai fait et dit publiquement, ces dernières années, les personnes que j'ai fréquentées, mes relations exactes avec elles, etc. Et pas à partir de déclarations publiques, mais par l'analyse de mes conversations privées, bon nombre de mes contacts utilisant malheureusement GMail. Toutes ces informations lui donnent énormément de pouvoir. Un pouvoir aujourd'hui officiellement au service du bien. Toutes ces informations, il les utilise pour mieux me servir, pour apporter les réponses les plus pertinentes à mes questions, pour me faire des suggestions judicieuses, etc. Mais comment être sûr que demain il ne basculera pas du côté obscur de la force ? Qu'un changement dans son actionnariat ne le mettra pas aux mains d'un Moloch (qui rime avec…) avide d'utiliser ces informations pour asseoir son pouvoir ? Que dans certaines régions des lois ne l'obligeront pas à livrer ces informations à des gouvernements plus ou moins démocratiques pour traquer les déviants ? Une technique d'approche classique de la scientologie est son test de personnalité qui permet de détecter les faiblesses des futures victimes afin de commencer à les manipuler. Imaginez qu'une secte mette un jour la main sur tout ce que Google sait de vous (ne serait-ce qu'à la manière de tous ces simples flics qui consultent illégalement les fichiers de police). Même si je faisais confiance au Google actuel (c'est loin d'être le cas et les dernières déclarations d'Eric Schmidt ne sont pas pour me rassurer), comment être sûr que toutes les informations que je le laisse collecter sur moi ne se retourneront pas un jour contre moi ?
C'est probablement une vision méprisante, mais je crains que pour beaucoup de geeks la technique soit une fin en soi. La «politique» a été tellement galvaudée (par ceux qui ne veulent pas qu'on s'en mêle afin de continuer à faire leurs petites affaires entre eux, mais c'est un autre débat) que nombre d'entre nous ont préféré l'évacuer, ou au moins la reléguer à la marge, ne pas en faire un élément central de leurs réflexions. De surcroît, la technique est une passion, devant laquelle la raison s'efface. On s'ébahit devant le dernier gadget et on s'empresse de l'adopter. On est certes conscients des problèmes qu'il pose (on n'est pas bête non plus), mais au nom du pragmatisme, d'un principe de réalité, on préfère fermer les yeux. Certes, chacun le fait à des degrés divers, c'est un principe de survie, refuser de fermer les yeux rendrait ce monde invivable. Mais il est certains sujets qui me tiennent à cœur et où cet aveuglement m'énerve au point d'aller déverser ma bile sur mes pauvres followers qui n'en demandaient sans doute pas tant.
En tant que geeks, je pense que nous avons une responsabilité. Comme la technologie est notre passion, nous sommes mieux informés des bouleversements en cours, et donc peut-être mieux à même de prendre conscience de leurs enjeux. Comme la technologie est notre passion, nos proches nous font confiance sur ces sujets, écoutent nos conseils. Va-t-on les jeter dans les bras de Google, simplement parce que son navigateur serait le plus performant, et en fermant les yeux sur les dangers sous-jacents, ou va-ton essayer de les informer sur le danger potentiel de Google ? Afin qu'ils fassent le choix d'utiliser ou non les services de Google, mais que ce choix soit conscient, raisonné. Donc avant d'inciter votre chat, votre panda ou votre poisson rouge à utiliser Chrome, GMail, Wave et consort, demandez-vous s'il ne risque pas de vous reprocher dans dix ans d'avoir abandonné sa vie privée entre les griffes d'un Grand Frère un peu trop omni-présent.
(…)Note: [1] certes les entreprises paient pour Google Apps, mais elles ne paient pas vraiment le logiciel, dont elles pourraient utiliser les versions grand public, elles paient quelques services supplémentaires.
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