Dessine-moi un mouton

J'ai eu l'idée de ce billet et de son titre avant de découvrir le dessin ci-dessous et bien avant la parution d'un excellent article par Soufiane Zitouni (Libération en ligne).

Ce billet pour dire de manière succincte que l'interdiction des images ne va pas de soi dans l'Islam, ni d'ailleurs dans le Christianisme, ni dans le Judaïsme.

L'interdiction des images prend sa source dans la Bible. Les images sont associées aux idoles.
Selon la tradition hébraïque, Abraham quitte son pays natal polythéiste après avoir cassé les statues représentant différents dieux que son père artisan fabriquait pour gagner sa vie.

Dans le désert, après la sortie d'Égypte, livrés à eux-mêmes en l'absence de Moïse et désespérant du futur, les Hébreux fabriquent un veau d'or en guise de dieu à adorer. Belle image de Dieu, en effet…

Selon les traditions monothéistes, il n'y a qu'un Dieu, mais les êtres humains ont toujours la tentation de transformer un simple être humain ou des espèces sonnantes et trébuchantes en divinités. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'interdiction des images, non de façon littérale mais d'une façon spirituelle. Il n'est pas interdit de dessiner, il est interdit d'adorer des idoles à la place de Dieu.

Le Judaïsme ne représente pas Dieu car toute représentation serait fatalement anthropomorphique et Dieu est tout autre. Mais il n'y a pas d'interdiction à représenter le prophète Moïse qui est un être humain, sans doute exceptionnel, mais pas sans défauts ni même sans fautes — relisez l'Exode.

Dans le Christianisme, il y a eu des périodes et des mouvements iconoclastes mais ce ne sont pas ces mouvements qui ont prévalu. L'Occident et l'Orient abondent en images de Jésus qui n'est pourtant pas un prophète pour les Chrétiens, donc pas simplement un être humain exceptionnel, mais le Fils de Dieu, dans un sens quasi-littéral.

Dans l'Islam, il y a beaucoup de représentations du prophète Mahomet, avec ou sans voile.

Mahomet sans voile chez les Afghans

Cette image fait partie du patrimoine artistique afghan (XVe siècle environ). Elle est conservée à la BNF.

Mahomet sans voile chez les Iraniens

Cette image persane montre Mahomet transporté au Paradis sur les épaules de l'ange Gabriel. Il est tout en haut de l'image et tout petit par rapport à l'ange.

Cette image est conservée au musée de Topkapi, en Turquie. Dans ce pays à 99% musulman, il n'a pas été jugé nécessaire de venger le prophète en détruisant cette œuvre.

Mahomet sans voile chez les Mongols

Cette image provenant d'un grand livre mongol de chroniques, rédigé au XIVe siècle, représente Mahomet avec de longues tresses tombant de son turban. Il est au centre de l'image en train de trancher une dispute.

Ce livre de chroniques est passé dans le patrimoine culturel arabe et ce n'est que sur Wikipédia que cette image a été défigurée avec un logiciel de retouche de photo, par un crétin qui ignore l'histoire de l'Islam.

Il faut voiler Mahomet !

L'art musulman a aussi présenté Mahomet avec un voile sur le visage. Il semblerait donc que Charlie Hebdo soit tombé pile avec sa une : « Il faut voiler Mahomet ! ».

C'est une très belle illustration persane du XVIe siècle. À certaines époques, les artistes ont dû composer avec l'interdiction de représenter le prophète mais ils ont contourné la censure en dessinant ses habits, ses mains et un bout de barbe dépassant de son voile, puis en dessinant plein d'autres personnages et en donnant un visage à la lune.

Au XXIe siècle, Joe Heller a illustré cette censure en montrant la barbarie du fondamentalisme contemporain qui refuse toute interprétation d'un texte des environs du VIIe siècle :

Traduction : L'Islam interdit strictement de faire le portrait de Mahomet*
*Cette image est acceptable car l'État Islamique l'a fait décapiter.

La haine des images du prophète n'est pas l'Islam

L'interdiction de la représentation du prophète et des images en général n'est pas constitutive de l'Islam. Il faudrait que les Imams le disent en chaire.

J'ai aperçu un titre du Monde ou de Libération en ligne qui traite du sujet. C'est une bonne chose car nous avons tendance à tout ignorer de la religion des autres comme de la nôtre.

Par ignorance, des gens sont blessés par des images, par ignorance, des gens veulent se venger et même tuer leur prochain. C'est épouvantable.

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Aujourd’hui, le Prophète est aussi «Charlie» par Soufiane Zitouni, Professeur de philosophie au lycée Averroès à Lille, Libération en ligne, vu le 15/01/2014. Il est aussi recopié dans la suite de mon Petit Livre Vert.