Mozilla, GNU/Linux, le Libre (et les femmes ?)
Voici deux poèmes d’Emily Dickinson pour poursuivre les vers de la page d’accueil de Libre-Fan et pour compléter Sur le Web : William Blake en prédicateur du XIXe siècle.
Un petit poème fantasque comme à l’habitude, qui figure dans l’édition bilingue des Quatrains et autres poèmes brefs (Claire Malroux, NRF, Gallimard, 2000, p. 80) mais que je ne retrouve pas ailleurs … un apocryphe ? :
The Spirit said unto the Dust
Old Friend, thou knewest me
And Time went out to tell the news
Unto Eternity —
Traduction par Claire Malroux (j’ai modifié le verbe « est allé » en « s’en est allé » car « go out » a aussi le sens de « s’éteindre ») :
L’Esprit a dit à la Poussière
Vieille Amie, tu me connaissais
Et le Temps s’en est allé porter la nouvelle
À l’Éternité —
Voici un court poème (n° 1073 dans l’édition de R. W. Franklin) et leurs deux traductions :
Herein a Blossom Lies —
A Sepluchre, between —
Cross it, and overcome the Bee —
Remain — ’tis but a Rind —
Ci-gît, une Fleur —
Un Sépulcre, en sépare —
Franchis-le, et vaincs l’Abeille —
Reste — et ce n’est qu’une Peau —
(trad. Claire Malroux)
Ci-gît, une Fleur —
Qui vous sépare d’un Sépulcre —
Passe au-delà, et vaincs l’Abeille —
Reste — et ce n’est qu’une Écorce —
(trad. Françoise Delphy ; pour les références, voir : Libre-Fan en résumé)
« vaincs l’abeille » = « vint l’abeille » : dans « overcome » il y a le verbe come (venir), même si le sens de « overcome » n’a rien à voir avec la venue (« surmonter » serait amusant mais moins juste du point de vue du sens), car on garderait un mouvement « come over »/« monter sur » ; « passe au-delà » va un peu plus loin tout en étant plus vague que « cross », qui est tout à fait franchir le Rubicon, par exemple, ou traverser un pont.
L’au-delà est appelé par le sépulcre (mais pourquoi être si cru dans la traduction ?) et le français « ci-gît », qui n’a pas l’ambiguïté de « Herein lies ».
J’ai l’impression que « Herein » n’a pas été rendu, il reste sous-entendu dans « Ci-gît » car on gît dans une tombe, et la fleur gît, enfermée dans son enveloppe mortelle mais l’expression « ci-gît », c’est « Here lies » et non pas « Herein lies » et en général, on ne sépare pas le verbe de son sujet comme E. Dickinson l’a fait ici.
« Herein » est nettement mis en avant, 1er mot du poème et 1er mot du 1er vers, il se détache ainsi de l’expression toute faite « Here lies ».
Est-ce que vous comprenez le 2e vers dans la traduction de F. Delphy ? Moi, pas du tout. Dans le texte anglais et dans la traduction de Claire Malroux, je comprends ceci : « un sépulcre te sépare de la fleur, donc franchis-le ou reste ici, etc ».
Je comprends l’ajout du « vous », un vous du pluriel (les gens ordinaires) qui s’oppose au l’impératif singulier (qui s’adresse au poète). Néanmoins, je pense que la séparation est la même pour tous, et si elle est plus visible aux yeux des poètes ou est un obstacle à la vision et à l’activité poétique, alors le pronom « tu » conviendrait mieux.
Voilà en tous cas un poème qui va bien au-delà de son thème mortuaire apparent.
There’s a certain Slant of light,
Winter Afternoons —
Le début de ce poème m’évoque un tableau de Hopper et un rythme de jazz tout en faisant écho à un autre poème qui commence par ce vers « Tell all the Truth but tell it slant — » (n° 1263 dans l’édition de R. W. Franklin) :
Tell all the truth but tell it slant —
Success in Circuit lies
Too bright for our infirm Delight
The Truth’s superb surprise
As Lightning to the Children eased
With explanation kind
The Truth must dazzle gradually
Or every man be blind —
Trad. F. Delphy (le vouvoiement me paraît incongru, ici) :
Dites toute la vérité mais de façon oblique —
Le Succès s’affirme par des Voies détournées
Trop éblouissante pour notre Joie infirme
La surprise superbe de la Vérité
Doit comme l’Éclair pour les Enfants
Être adoucie par d’aimables explications
La Vérité doit éblouir graduellement
Sinon nous serions tous aveugles —
Dire la vérité de façon oblique, c’est comme Hopper peignant le soleil en lumière oblique portée sur un mur. Voici deux tableaux représentatifs :
« Rooms By The Sea », 1951 (« Chambres au bord de la mer », in Edward Hopper, Cologne, Taschen, 1990)
« Sun in an Empty Room », 1963 (« Le Soleil dans une pièce vide », in Edward Hopper, Paris, Flammarion, 1985)
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